Préface de Pascal Ory, Historien, membre de l'Académie Française et directeur de scientifique de France Mémoire
Art pour tous, art pour chacun ?
Préface de Pascal Ory, Historien, membre de l'Académie Française et directeur de scientifique de France Mémoire
Art pour tous, art pour chacun ?
Il y a toujours eu un art pour tous, dans toutes les sociétés : l’art sacré. Il est question ici de propagande (le mot vient de là : « Propagation de la Foi »), qui met les techniques humaines (les « arts ») au service des causes suprêmes. Au fond il n’y a pas d’Art tant que le sacré est monopolisé ailleurs. Depuis un demi-millénaire environ les choses ont commencé de changer ; un mouvement s’est mis en branle, un mouvement dialectique, qui a mis en avant deux acteurs.
L’un est, pour tout dire, un vieil acteur, un peu fourbu, mais toujours prêt à servir : le Peuple. Aujourd’hui la quasi-totalité des états du monde, de l’Islande à la Corée du nord, sont des démocraties (régimes de souveraineté populaire), même si ce sont majoritairement des démocraties autoritaires. Cette formule n’est un oxymore que pour celles et ceux qui assimilent Peuple et Liberté : l’histoire du monde contredit incessamment cette assimilation qui participe du wishful thinking -en bon français : prendre ses désirs pour des réalités-. Il n’y a qu’un seul régime qui intègre liberté et souveraineté populaire : c’est la démocratie libérale. Elle est présentement très minoritaire, et plutôt en recul.
Le second acteur est plus jeune. C’est l’individu. Non qu’il n’y ait pas eu d’individus dans les temps prémodernes (les peintres de la grotte de Lascaux étaient des individus, contrairement à ce que veut croire toute une pensée holistique). Ce que la modernité a inventé, c’est l’individualisme. C’est aujourd’hui, et de loin, le moteur principal des activités humaines, sur les trois plans qui résument lesdites activités : économique, politique, culturel. L’Avant-garde -cette métaphore militaire qui faisait rire Baudelaire- n'a pu s’imposer, à toutes les générations modernes, que grâce au marché. La force de l’individualisme tient à la conjonction -pour ne pas dire : à la confusion- qu’il a réussi à instaurer, au long des derniers siècles, entre « libération », collective, et « autonomie », individuelle.
Chacune de ces lignes a produit ses institutions spécifiques – par exemple, dans l’ordre, et pour rester sur le terrain français, le Théâtre National de l’Opéra de Paris, les Fonds Régionaux d’Art Contemporain, la Bibliothèque Publique d’Information-.
C’est à cette lumière que le projet Arts-pour-Tous peut être analysé. Au XXIème siècle, apogée de la souveraineté populaire, donc apogée de l’état-nation -a contrario de ce que prophétisait la Révolution de l’ère progressiste, au lendemain de la Seconde guerre mondiale-, aucun gouvernant ne peut faire, sur le terrain de la culture comme sur tous les autres, l’économie d’un discours à connotation populaire, même si, par ailleurs, sur le terrain, il ne ménage pas ses efforts en direction des deux premières lignes. Mais toute victoire se paye et l’emphase mise sur le pour-tous pose au moins autant de questions qu’il en résout. Car elle est deux fois à double entente. D’une part il importe de distinguer entre l’ouverture des arts à toutes les formes d créativité « subalternes » et la diffusion des arts dans les populations. Rhétoriquement ces deux projets peuvent s’associer, mais, dans leur source comme dans leur réalisation, ils sont indépendants l’un de l’autre et peuvent donc se révéler contradictoires. De l’autre la contemporanéité historique du libéralisme et de la démocratie moderne -qui résume intellectuellement la modernité- conduit à confondre le pour-tous avec le pour-chacun. Les artistes pas trop aveuglés par la religion culturelle le vivent tous les jours. Et là aussi la conciliation des deux projets est plus affaire de talent rhétorique que de génie politique.
Pascal Ory
Préface de Jacques Serrano, concepteur de la Semaine de la Pop Philosophie
L'Art est-il vraiment émancipateur ?
Depuis des décennies, une croyance persiste : l’art, dans toute sa diversité, constituerait un vecteur d’émancipation pour tous. Cette idée mérite pourtant d’être remise en question. Peut-on vraiment affirmer que l’art possède intrinsèquement ce pouvoir positif de transformation sociale et personnelle, ou bien s’agit-il d’une illusion entretenue par les discours bien-pensants des politiques et des opérateurs culturels ?
Structurant cette croyance, le slogan « l’art pour tous » semble prometteur et inclusif. Il repose cependant sur une ambiguïté profonde. L’art est souvent présenté comme une expérience accessible à chacun. Pourtant, comme l’histoire de l’art, notamment du XXe siècle, nous le montre, l’art ne consiste pas en une simple rencontre spontanée avec une œuvre, mais avant tout en un processus de réflexion, en une démarche intellectuelle. L’art demande aujourd’hui des efforts et de la motivation, afin de s’ouvrir à une réflexion qui dépasse la simple consommation culturelle.
L’idée d’une accessibilité universelle de l’art est séduisante. Mais force est de constater que l’objectif qu’elle se donne n’est que très partiellement atteint, en raison d’un malentendu, entretenu par les médiateurs culturels. Non seulement leurs discours s’avèrent déconnectés des attentes et des besoins du public, mais en outre ils tendent à renforcer une forme de mépris envers ceux qui ne s’y retrouvent pas.
Loin d’opérer une critique de l’art en lui-même, il s’agit ici de questionner l’hégémonie du discours qui entoure l’art. Pourquoi cette insistance à présenter l’art comme la voie royale vers l’émancipation ? Il est assurément possible que certains puissent s’émanciper à travers l’art. Mais faire de ce phénomène une règle générale et privilégiée est trompeur. Cette croyance tend à ignorer et invisibiliser la diversité des chemins d’émancipation que chacun peut emprunter, en dehors du cadre artistique.
En outre, comment peut-on vendre « l’art pour tous », quand les vrais professionnels de l’art eux-mêmes ne cessent de s’interroger sur la définition et le sens de l’art aujourd’hui ? C’est pourtant ce que font les opérateurs de la culture, prétendant, de fait, détenir une compréhension claire et stable de l’art. Ils en font pourtant un mot-valise, induisant la plupart des gens en erreur. A contrario, l’enjeu est de repenser notre rapport à l’art et à la culture de manière plus exigeante. Une telle tâche doit passer par une révision des stratégies culturelles. Axées aujourd’hui sur la quantité plutôt que sur la qualité de la rencontre artistique, ces stratégies, démagogiques, échouent à attiser la curiosité et le désir, décevant immanquablement les attentes du public.
Plutôt que de multiplier les initiatives culturelles sans questionner leur pertinence, plutôt que de privilégier la fréquentation au détriment de la création, il est temps de reconnaître que l’art n’est ni simple ni évident. Dissiper cette croyance par une réflexion éclairée est toute l’ambition de la seizième édition de la Semaine de la Pop Philosophie.
Jacques Serrano
Avec :
Les philosophes Jean-Marie Schaeffer, Marina Garcés, Christian Ruby, Alain Poussard, Francesco Masci, Raffaele Carbone et Jacques Morizot, les sociologues Marjorie Glas, Emmanuel Wallon et Jean-Louis Fabiani, le sociologue- danseur Christophe Apprill, le socio-anthropologue Fabrice Raffin, la directrice de la programmation et de la médiation culturelle du Musée du Louvre Dominique de Font-Réaulx, la directrice du Musée National de l'Histoire de l'Immigration / Palais de la Porte Dorée Constance Rivière, l'historien de l'Art et directeur du Musée de Capodimonte Sylvain Bellenger, l'historienne de l'Art et co-fondatrice du Progetto Museo Francesca Amirante, l'historienne des idées Françoise Gaillard, le metteur en scène Robin Renucci, l'artiste Jean-Baptiste Farkas, le directeur du FRAC Occitanie Éric Mangion, l'historien du théâtre Olivier Neveux, la professeure de la Théorie de l'Art Numérique Olga Scotto di Vettimo, l'attaché scientifique et universitaire de l'IF Italia chargé du Débats d'Idées Stéphane Poliakov, le journaliste co-fondateur d’AOC Sylvain Bourmeau, le directeur-adjoint et journaliste au Nouvel Observateur Arnaud Gonzague,la journaliste Télérama Juliette Cerf, la journaliste à La Provence Olga Bibiloni, l'auteure de la web-série "Les Clés de la Philo" Léa Veinstein, le réalisateur de la web-série "Les Clés de la Philo" Olivier Marquezy, le conservateur du Musée des Beaux-Arts de Marseille Luc Georget, la conservatrice en chef du patrimoine et responsable du Muséum d'histoire naturelle de Marseille Anne Médard, le président du Mucem Pierre-Olivier Costa et la directrice des collections du Mucem Marie-Charlotte Calafat.
Ce festival vous est proposé par l'association Rencontres Place Publique
1, place de Lorette 13002 Marseille
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